L'orage venait d'éclater, The Trees and the Wild commençaient leur concert. Des trombes d'eau s'abattaient sur la foule, massée alors au pied de la grande scène. Le festival Up To the Sky de Singapour en était à sa première édition et rien n'avait été prévu face à ce coup du ciel. Le groupe se lançait dans une épopée sonore, une introduction qui dura plus de 20 minutes intenses sans coup d'arrêt, tonnerre contre guitares furieuses, éclairs célestes contre voix indonésiennes haut perchées.
Un mois que je les avais filmé à Jakarta, et le frisson qui s'emparait de la foule me résolut à leur demander une seconde chance. Le premier tournage avait été chaotique, je n'avais pas réussi à prendre la mesure de ces harmonies complexes et de ces jeux de constructions mélodiques, il fallait se remettre au boulot et offrir à ce groupe magnifique un film à leur dimension.
Un autre mois et demi plus tard, de retour à Jakarta, le dernier tournage de mon périple asiatique leur fut dédié. On partit de leur université et on traversa centres commerciaux et rues bruyantes, de singes déguisés en clown en restaurants de passage nocturne, au beau milieu de ce trafic infernal propre à la mégalopole javanaise. Je ne voulais pas qu'ils s'arrêtent, pas une seconde ne devait nous laisser respirer. Prendre à la gorge en gonflant les muscles et en marchant droit devant.
On trouve de nombreux rituels de transe à travers l'Indonésie, des montagnes de Papouasie aux villages de Sunda. Des rythmes répétitifs aux odeurs sacrées, tout semble prétexte à dépasser la condition du corps indonésien, si timide au quotidien. Les Trees & The Wild, si urbains, ont peut-etre aussi trouvé une sorte de dépassement dans leurs longues montées musicales, leur chants qui lentement mutent vers des cris primaires. Retrouver la condition animale, même si cela doit se jouer au milieu du chaos sonore le plus complet, même en s'habillant en bon petit groupe indie prêt a conquérir le reste du monde.
La quête de la bête en territoire marchand. Quelle beauté plus insensée?
Les voitures défilaient sous la passerelle piétonne, les pieds heurtaient le métal et le groupe vociférait ses paroles comme un mantra. Une prière pour une génération hybride.