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take away shows — By Chryde

The Shins

Tout nous apparaissait si compliqué. Tout fut si simple. On nous avait dit que ce serait infaisable, que le groupe ne voudrait jamais. Mais les Shins ont bien voulu, sans que nous sachions vraiment ce qui les avait décidés. Nous avions peur de ce manager, vieux roadie tatoué qui rechignait à nous laisser emmener le groupe en promenade. Nous avions peur de cette attente, du retard du groupe, qui nous a dépassé, est monté dans ses loges, nous a laissé poireauter. Il devaient faire une setlist. Une setlist ? Pour un Concert à emporter ?

Que nous étions bêtes. Ils sont descendus, et à compter du moment où le bassiste m'a tendu la bouteille de blanc qu'ils avaient prévu pour la balade, tout est venu naturellement. Dans la rue, alors que les deux guitaristes s'amusaient à reprendre des morceaux de Love, James Mercer nous a expliqué qu'ils avaient prévu onze morceaux. Onze morceaux... Nous n'avons eu le temps d'en enregistrer "que" cinq. Les voilà, en deux films.

Rue des Trois Frères, Montmartre. Un quartier à l'agitation paresseuse, une rue grouillante de flâneurs, où l'on avance à pas lents, où l'on prend se temps, rue touriste où l'on aime regarder, rue branchée où l'on aime se montrer. Dans ce coin, l'animation impromptue est légion, les accordéons, les violons tziganes et les groupes de jazz manouche font partie du decorum. Alors pourquoi pas un groupe de pop américain ? Lorsque les Shins se sont plantés devant une terrasse bondée pour y jouer Turn on me, on sentait un sage enthousiasme. James Mercer et ses copains plaisantaient sans cesse sur les piécettes que pourraient leur rapporter ces morceaux, et n'étaient pas si loin de la vérité. Devant le café, puis sur le petit carrefour plus haut, on comptait quelques fans du groupe heureux de la surprise, on comptait surtout touristes et parisiens satisfaits de la petite scène qui avait marqué sans prévenir leur dimanche endormi. Lorsqu'après chaque morceau, je distribuais des flyers, tout le monde m'en réclamait, j'avais le sentiment de vendre les CD gravés d'un groupe formé par des potes.

La foule fut même patiente. Nous sommes entrés dans la cour de l'immeuble de Matthieu et Raphaëlle. Deux filles ont regardé le morceau cachées derrière une vitre, une vieille a ouvert sa fenêtre 30 secondes, le temps de juger que cette musique était assez agréable pour ne pas être jugée nuisible. Nous sommes montés, expliquant à deux fans que nous devrions les laisser là. Puis, une fois sur le balcon de l'appartement, nous avons regardé en bas. La moitié de la petite foule qui avait écouté les Shins dans la rue était encore là.

En trois quart d'heure, les Shins n'ont en fait cessé de jouer, ne se sont jamais vraiment posé de questions. Ce n'était pas une session, c'était un après-midi de soleil et de farniente, c'était une ouverture de printemps, et le groupe collait parfaitement au décor.

Ce concert à emporter, cinq morceaux enchaînés naturellement, entamés sur une petite place, terminés dans un appartement baigné de soleil, ressemble aux Shins, ressemble à leur musique, une pop décomplexée, joyeuse, et familère, qui semble aller de soi. Les morceaux de James Mercer ne donnent jamais le sentiment de vouloir nous bouleverser outre mesure, de vouloir révolutionner quoi que ce soit, mais d'être au contraire ultra-solubles, apprivoisables d'instinct. Les Shins étaient à Paris, ils ont pris du bon temps, ont mis en musique une belle après-midi. C'était tout ce que nous leur demandions. Vous imaginez bien, on est reparti de là avec de grands sourires. Et sans doute, grâce à cinq gars de Portland, quelques touristes se sont-ils dit que Paris était une chouette ville.