Que c'est loin, la Nouvelle-Zélande. On ne sait trop ce qu'ils s'imaginent, les néo-zélandais, quand ils arrivent à Paris. On ne sait pas trop non plus comment les imaginer.
Pour les Ruby Suns, j'avais déjà une idée, non pas fondée sur une territorialité quelconque, mais sur leurs morceaux, dans lesquels je me baignais depuis quelques semaines : un morceau, en particulier, Criterion, qui rassemblait toutes les envies de printemps et plus, toutes les poussées sixties bourgeonnantes de la fin mars, avec un refrain digne des Zombies, des hommages percussifs et harmoniques à Brian Wilson glissés toutes les 20 secondes, du bonheur, pur et simple. Néo-zélandais, Luxembourgeois, Ecossais, qu'importe... Les Ruby Suns venaient d'un pays de plages et de barbecues, de cheveux salés et de vieux pick-ups bariolés. Ils ne pouvaient qu'ensoleiller Paris.
En un quart d'heure, c'était fait : les bras chargés de melodicas, de maracas, grelots, tambourins et d'une caisse claire, ils faisaient danser Vincent Moon tout en s'avançant vers place de la Bourse. Jeunes, timides au départ, ils ont vite pris la mesure de leur liberté, qu'ils ajustaient à notre enthousiasme. Ils étaient en colonie, se lâchaient un poil moins que ce que nous leur aurions permis, presque trop prudents dans cette belle ville étrangère, dans un quartier en repos le week-end qui ne semblait guère habitué aux débordements de joie.
Il y a toujours cependant, un moment où les brides sont lâchées. C'était dans le passage des Panoramas. Sans doute parce que la caisse claire tapait de toute façon trop fort : jouer là, comme ça, c'était déjà en faire trop, alors autant faire les sales gamins. Nous étions à l'autre bout de l'allée, et nous les regardions taper courir, sauter, et nous avions envie d'avoir 17 ans, de boire des bières et de hurler comme des cons sur une dune. Ils avaient pris la tête. Lorsque nous lors avons proposé de jouer sur une fine bande de trottoir entre la file des voitures et celle des bus, pensez-vous que cela leur a posé problème ? Que nenni. Ils étaient à Paris, ils avaient pris ce tournage comme une chance, et nous leur avions donné quartier libre. Qui n'en profiterait pas ? Qui ne jouerait pas au con sur les plages de Nouvelle-Zélande, le jour de son arrivée, si on l'y invitait ?