Il aura fallu plusieurs mois pour que je discerne ce qui me touchait vraiment dans Monday's Ghost
, le premier album de Sophie Hunger. Un album inégal mais souvent brillant, même lorsque Stephan Eicher s'invite en guest. Un album tendu, à fleur de peau, sous des dehors parfois inoffensifs. Deux très belles chansons en revue, donc.
1. Shape
Un grand jeu d'ombres, une course poursuite dans des ruelles en clair-obscur, un égarement dans des dédales de vieilles villes accablées où le soleil ne va pas. De subites échappées en pleine lumière, qui brûlent un peu mais qui donne le sentiment d'être incroyablement vivant, de toucher à quelque chose de vital et de nécessaire. Le flux des ombres qui reviennent, porteuses de petits brouillards et de mélancolies majeures.
Cette chanson dit tout ça, avec une précision et un luxe de détails surprenants. Plus que surprenants, ravissant. Cette chanson est un ravissement, un enlèvement pour ailleurs. Cette chanson est un brigand kidnappeur qui ne demandera pas de rançon. Elle a des chœurs fantomatiques et un trombone comme anges gardiens, elle a une âme. Elle est l'œuvre d'une toute jeune fille qui chante parfois en suisse allemand et qui sait manifestement ce que c'est que de se battre contre des ombres. C'est comme poser et reposer sans cesse des questions, parce que les réponses filent toujours trop vite, s'écoulent comme de l'eau entre les mains de soifards qui ont l'air sublime et perdu de ceux qui ne savent plus très bien.
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Nous avons sans cesse soif et le pugilat contre les ombres est notre sport national. Il fallait bien une Suissesse au doux prénom de Sophie, à la voix tantôt vieillie et tantôt juvénile, pour nous le rappeler.
2. Walzer für niemand
Même quand tu valses seul, tu ne valses pas seul. Même quand Sophie valse seule, elle valse en fait avec un absent. Toi tu valses avec toutes les valseuses d'avant : celles dont tu te souviens encore, un visage, un corps, une voix. Des ombres. Tu entends encore parfois l'écho de leurs pas sur trois temps. Celles qui ont valsé avec toi le temps d'un baiser, celles qui ont valsé des années durant.
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Tu crois sans doute que tu pourrais danser seul toute la nuit, tant tu as de souvenirs. Tu aimerais le croire mais tu sais bien qu'au fond, c'est Sophie qui a raison. Tu le sens dans la façon dont sa voix se brise sur le mot "niemand". Les absences et les souvenirs sont parfois doux, mais pas toujours. Pas toujours.