Jonsi, lui, s'en souvenait, de cette journée. Il ne se souvenait d'ailleurs que d'elle : il n'avait jamais regardé le film, par peur de s'y voir, d'entendre cette chanson que nous l'avions forcé à désosser, me confia-t-il avant de s'engouffrer dans les carrières en cette chaude journée de fin juillet. Cette fois, il était bien plus confiant : tout était là. Tout : onze musiciens, des cordes, des cuivres, une batterie complète, quatre rangées de cymbales bricolées. Et puis, des amplis, des caisses entières de matos, deux consoles sons, des roadies imposants, des malles de costumes, autant de choses que nous avons transportées dans des couloirs interminables et souterrains, à peine assez larges pour que nos vans y roulent.
Il fallait ça, pour que Sigur Rós se sente à l'aise, même dans une carrière enfouie sous la banlieue parisienne, éclairé par quelques chiches ampoules suspendues au plafond. Sigur Rós à l'aise, c'est un groupe à qui nous laissons la possibilité d'occuper tout l'espace, de pousser le son comme s'il pouvait, devait emplir jusqu'au moindre recoin. Tout était millimétré, organisé presque militairement, si bien que les trois membres du groupe n'ont pas eu à toucher un instrument avant de se lancer. Dès la première note, tout était parfait, enveloppant, capiteux, scénarisé jusqu'à l'impressionnant silence de la fin du morceau qui nous laissait, à chaque prise, pantois. A la fin de l'après-midi, Jonsi vint vers moi, confiant, satisfait : "c'était bien mieux que l'autre fois". Ces garçons là ont rodé leur machine de guerre, aiment qu'on suive le chemin qu'ils ont tracé.