Résumons. Killer Mike et El-P venaient de traverser l'Atlantique. Ils étaient dans le coltard, avaient à peine dormi, enchaîné les obligations promo, repartaient tôt le lendemain matin. On les faisait jouer à la Recyclerie, une ancienne gare décatie, magnifique, mais dans laquelle nous avions tout juste improvisé une scène. Il faisait un froid de gueux dehors, et dans le public, les gens gardaient leur doudoune (ces rigolos de la Blogo n'avaient pas prévu de vestiaire), ce qui n'aide pas à danser ou à pogoter surtout quand on n'est pas le public acquis, la bande de fans hardcore qui avait mis le feu à la Belleviloise quelques semaines plus tôt (l'indie boy parisien est timide, et se fait bâcher par les Américains).
Mais voyez-vous, ce jour-là, les Run the Jewels étaient les rois du monde. Leur disque venait d'être nommé Album de l'année sur Pitchfork & USA Today, un grand écart inattendu et magistral. On avait des champions fatigués, certes, mais des champions. Qui ont fait le boulot au delà de nos espérances.
Ils n'ont pas lâché le public une seconde. Ils l'ont vanné, secoué, violenté, interpellé, sans jamais se plaindre, sans jamais donner l'impression qu'ils voulaient faire autre chose que donner le meilleur show possible. Ils étaient sur pile, Killer Mike dansait, jouait avec les caméras, invectivait les buveurs. El-P racontait ses histoires, sautait sur place comme s'il avait attendu dix ans l'occasion de se frotter à un public. Ils ne boudaient pas leur joie, avaient confiance en leur duo, et rien ce jour là n'aurait pu les arrêter.
A la fin, ils ont d'ailleurs gagné. Le public leur était tout acquis. On transpirait sous les doudounes. On levait les bras. On savait pourquoi on s'était fait bâcher, on savait pourquoi on sautait. Bravo Run the Jewels.