Il y avait des livres sur tous les murs, un grand escalier d'époque. Les gens se sont posés dans les canapés, aussi à ses pieds, alors qu'il avait déjà commencé à jouer. D'autres se sont assis dans l'escalier, serrés les uns contre les autres, contre les barreaux qui laissaient juste assez d'espace pour apercevoir les doigts de Nils frapper les touches, ses épaules sursauter et ses yeux se fermer lentement.
Le temps s'est arrêté. Plus un bruit à part celui du piano, plus un mouvement dans la pièce. Plus personne n'osait bouger. Certains se retenaient de tousser, peut-être même de cligner des yeux de peur qu'un battement de cils ne viennent briser l'instant, ramener tout le monde à la réalité.
Un des enfants présents s'est même doucement assoupi sur le canapé, bercé par les notes de Nils, plongé dans un rêve où nous sommes tous tombés les uns après les autres. Ce genre de rêve éveillé dont on ne veut plus jamais se réveiller. Le piano de Nils était cette voix rassurante, ce pendule hypnotisant qu'on ne lâche jamais des yeux.
Parfois, comme si tout était devenu trop confortable pour lui, Nils Frahm déchirait le rêve de coton dans lequel il nous avait plongé. Comme lorsqu'il s'est mis à marteler une touche, une seule, avec véhémence et métronomie. La répétition, la scansion d'une seule et même note comme une transe, un élan qui s'est prolongé dans une folle virtuosité sur le Rhodes à sa gauche. On aurait pu ne filmer que ses doigts. On aurait pu détailler la vie qu'il donnait à ces marteaux et ses cordes. Le voir transpirer tant il s'offrait à ses interprétations. Jamais je crois n'avons nous filmé une telle intensité dans le rapport entre un musicien et son instrument.