Pour comprendre la musique du quartet, il faut saisir combien elle est ancrée dans l’esprit qui souffle sur l’île, une île à la fois minuscule et grandiose, où l’on détourne le tracé d’une route pour ne pas contrarier les elfes du rocher à dynamiter. Ces elfes peuplent les paroles d’Heiða, comme ils dansent dans les arpèges de guitare d’Hilmar, soufflent et renâclent dans la clarinette de Joachim, crient sourdement sous l’archet d’Ananta.
La musique de Mógil est belle, jamais évidente, brute sans brutalité, simple sans simplisme, mélodique dans la dissonance. À sa manière, elle reflète l’Islande où, proximité avec le cercle polaire oblige, tout paysage se pare d’étrangeté à la faveur d’une lumière rasante. Et dans ce tout petit continent où il n’y a quasiment qu’une seule route, un anneau sobrement désigné « route 1 », les lieux se croisent et se recroisent, sécrétant une familiarité douçâtre et trompeuse. À la faveur des rayons de soleil tordus par l’ozone, on se laisse bercer par le conte islandais de Mógil, sa musique si extraordinairement archaïque et contemporaine.
Dans la mystique de Mógil, nous croisons la maison-musée de l’écrivain Halldór Laxness, envahie de bouquins sagement ordonnés. Les secondes égrenées par la pendule centenaire rappellent à chaque instant la quiétude qu’aimait goûter l’unique Nobel Islandais. Il y a aussi cette église en bois dressée sur notre parcours, qui nous fut ouverte spécialement une vingtaine de minutes après quelques coups de fil : tout le monde se connaît ici. Surtout, il y a ce moment glacé, tout près de la faille de Þingvellir, fracture impressionnante qui vient matérialiser l’effondrement des plaques européennes et américaines. Là où la Nation Islandaise est née, d’abord géologiquement puis politiquement (le plus vieux parlement du monde, nous dit-on), Mógil joue une mélodie faussement candide, juchés au bord du monde, les visages balayés par le vent.