Alors ce soir là, quand on lui demande ce qu'il pense de Bosque Brown qui va assurer sa première partie, il nous déclare sans ciller qu'elle lui a littéralement sauvé la vie et que sa musique est la seule raison pour laquelle sa femme et lui sont encore mariés. Même réaction quand nous traversons la place de la Bastille : on lui raconte l'histoire, et l'endroit devient pour lui le berceau du monde occidental. Pardon, le Berceau du Monde Occidental. Quand il téléphone à sa dite femme, il lui racontera en menus détails tout ce qui s'est passé dans sa vie depuis la veille 18h et lui dira une petite vingtaine de fois qu'il l'aime.
C'est qu'il y a comme une puissance qui dort chez Micah P. Hinson. Rien ne semble devoir jamais couler de source avec ce bonhomme. Au contraire, tout est éruption. Quand il chante, on a l'impression qu'il tente de canaliser quelque chose qui vient d'ailleurs. Ses chansons sont de frêles esquifs qui tanguent sur les eaux impétueuses d'une voix qui ne cesse de gronder, et qu'on devine tapie comme un fauve, prête à bondir, quand il se tait.
On l'avait d'abord emmené au grand air, sur le port du Bassin de l'Arsenal. Il y susurre presque pour lui-même, tout en puissance rentrée, en contrôle de soi, et les grands immeubles ou les bateaux immobiles sont comme un témoin d'un monde qui ne bougera pas pour si peu. Jusque là, tout va bien.
Avant de finir dans un bar, Micah me demande si j'ai une request. Je lui propose "The Fire Came Up To My Knees". Il préfère me prévenir : "I can get really loud on that one". Il la joue donc là aussi en retenue, par égards peut-être à la demi-douzaine de curieux qui sont là. Sa voix ne cesse de descendre dans les basses, de râcler le sol. De gronder encore. Comme une source qui vient de très loin. Sitôt terminé, il reprendra son babillage. Deux heures plus tard, il remettra ses tripes sur la table, devant le public d'un Café de la Danse conquis.