Comment en effet expliquer que, malgré la joliesse rassurante des arpèges de guitare et la limpidité des mélodies, semble ressortir des trois albums de Marissa Nadler une impression de deuil, comme si ces chansons étaient l'émanation d'un fantôme errant, la bande-son d'un roman gothique anglais ? Marissa Nadler n'abuse pourtant pas des oripeaux du genre : très peu d'orgues funèbres, pas de croassements cachés dans le mix. Ses chansons, parfois construites autour des apports instrumentaux de Nick Castro ou de Greg Weeks mais le plus souvent dépouillées, sont en apparence empreintes d'une sensibilité folk légère, presque champêtre.
En fait, Marissa Nadler fait partie de ces artistes rares qui cristallisent spontanément un univers autour du simple timbre de leur voix. En ce sens, on peut la rapprocher de Liz Fraser (Cocteau Twins), Paula Frazer (Tarnation) ou Lisa Germano (on peut d'ailleurs se demander ce que 4AD attend pour la signer ?). Toutes des artistes dont le pouvoir de séduction se fonde aussi sur une certaine forme de mystère, un anonymat visuel qui empêche les images de la chanteuse en action de parasiter le paysage mental que leur musique crée en nous. Je n'ai jamais eu l'occasion de voir Marissa Nadler en concert et m'en accommode à vrai dire très bien. J'appréhendais même légèrement cet exercice du Concert à Emporter. L'envoûtement allait-il encore opérer ?
New York. Central Park. Une nuit d'octobre. Une robe blanche, un collier métallique. Marissa est assise au bord de l'eau. Seule avec sa guitare. Le vent dans les cheveux. Un éclairage expressionniste. La blancheur éclatante d'une joue illuminant la nuit. Les gratte-ciel en toile de fond. Le mystère demeure, intact. J'avais tort de m'inquiéter.