J'étais très loin d'imaginer qui pouvait être Devon Welsh, qui pouvait se cacher derrière les quelques morceaux de Majical Cloudz que j'avais jusqu'ici entendus.
Nous avons passé une après-midi avec lui. Et cette après-midi en question, nous l'avons passée en compagnie d'un être fragile, comme une figurine qu'on aurait déplacé de force et abandonné à un univers étranger. Nous ne parlions pas la même langue au sens propre comme au figuré.
Nous étions dans le Sentier, et avions rendez-vous dans un piano bar à Oberkampf. Nous y sommes allé en métro. Là, Devon s'est planté sur le quai, apeuré, hésitant. Il s'est mis à chantonner, avec une puissance qui ne suffisait pas à cacher sa timidité. Une dizaine de métros ont défilé avant qu'il ne se décide à faire le pas, à se livrer à une foule de créatures lassées, qui ne l'ont pourtant pas quitté des yeux. A la fermeture des portes, il n'y avait qu'un tout petit filet de voix qui se distinguait à peine du brouhaha de la rame. Puis, à mesure que le train accélérait, son chant s'étoffait.
Que ce soit dans ce métro, ou dans le bar dans lequel il a joué Bugs don't buzz, il y avait chez Devon ce regard fou. Ces yeux qui nous ont fait reconsidérer toutes ces fois où nous avons dit d'un chanteur qu'il regardait ailleurs. Devon Welsh n'est pas perdu, il est littéralement ailleurs : ses yeux ne sont pas dans le vague, ils ne regardent pas loin. Ils regardent de l'autre côté. Devon, en chantant, s'adresse à quelqu'un que lui seul voit, et dont nous ne pouvons pas nier la présence : ces yeux voient plus. Cette voix porte plus loin.