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La Route du Rock

On devait y faire un film, et puis on n'a pas pu. Mais comme Garrincha devait y être pour le boulot et que la plume alerte du jeune François du Pédiluve (qui défendait naguère une certaine idée du Canada sur ces mêmes pages) était également du voyage, on s'est dit qu'on allait quand même vous la raconter, cette 20ème Route du Rock, le festival où même les vigiles sont chouettes.


Premier jour à la Route du Rock et on apprend, soulagés, que la batterie n'est pas morte. C'est d'ailleurs elle qui insuffle le minimum syndical de vie aux poupées lookées des Dum Dum Girls. Tous les ingrédients sont pourtant là: jupes de cuir noir, bas résille et Danelectros. On se sent à la maison, on se prend même rêver à de la délinquance juvénile au couteau peigne et à des virées au drive-in. Mais les barbies rétro semblent venues pour faire de la figuration et les chansons, elles, n'existent pas. Les Dum Dum ne rebondissent guère, et même leurs déhanchés suggestifs paraissent mécaniques.

Yann Tiersen jouera lui avec deux batteurs, et au total 16 musiciens (dont lui). Le concert n'est certes pas une réussite de bout en bout, mais c'est en tout cas une belle promesse : il y a quelque chose de méchant, d'aigri, une volonté de briser des miroirs chez le Breton qui s'incarne parfois dans ses nouveaux morceaux dopés. On préfèrera certainement revoir GYBE! prochainement, mais la nombreuse troupe n'est ridicule que lorsqu'elle essaie de réorchestrer bizarrement du Amélie Poulain à la sauce post-rock.

On ne se démonte pas pour autant, car l'autre bonne nouvelle de la soirée, c'est que Dennis Hopper non plus, n'est pas mort. Ou plutôt l'Amérique telle qu'il l'a rêvée est toujours en vie, quelque part dans un désert texan. Aux Black Angels de nous la servir sur un plateau, le temps d'une messe noire bourrée de narcotiques.

"How can you live, if you're still afraid to die?"

Imprécations d'un chanteur habité qu'on approuve agitant lentement la tête. Des nappes vénéneuses se dégagent de la scène et pourtant les machines à fumée n'y sont pour rien. L'air se fait épais, Les paupières, lourdes, je crois même entendre les serpents à sonnettes. Les tambourins, à coup sûr. Mon cœur est synchrone avec les doubles percussions et toi, tu aurais sûrement battu la mesure de tes santiags. Et à regarder la blonde qui officie derrière les fûts, tu aurais voulu te faire transformer en baguette. Ou en cymbale crash.

C'était l'anesthésie avant l'opération, la morphine avant le scalpel Liars. Nous voilà projetés dans le bloc opératoire, attendant nerveusement l'arrivée des New-yorkais venus nous charcuter, sans licence. On appréhende la véhémence du châtiment sonore, la décharge du défibrillateur. Quand débarque enfin Angus, pantin sauvage et déchainé des forces obscures, il ne nous reste qu'à nous agenouiller dans la poussière et accepter la sentence. Il n'y a pas d'instruments dans ce groupe, juste des armes de percussion massive dédiées à faire vibrer chaque centimètre de notre corps repentant. La seule averse de la soirée sera donc une salve de plomb fondu. Drums not dead, ils nous avaient pas menti, finalement. Les chagrins regretteront une version de "Scissors" ratée, nous les laisserons chagriner dans leur coin.

Laissés pour mort sur le champs de bataille, Caribou vient gentiment nous réanimer. Il l'a promis en conférence de presse, il est venu faire danser les filles et les garçons. Dont acte. Les 4 musiciens jouent ramassés au centre de la scène mais c'est pour mieux étirer les instants. C'est précis et hédoniste, maîtrisé et fantasque, même si ça pourrait encore gagner en folie.

Samedi funeste.

Après celui de Dennis Hopper la veille, on croise un deuxième fantôme, celui d'Hope Sandoval. La voix est intacte, mais on dirait que toute émotion a déserté ce corps jadis plein de vie. On assiste à la performance d'un ectoplasme et, au regard de nos émois des temps passés, ça fait mal de l'écrire.

Saint-Père fidelis, la pluie, bien sûr, est au rendez-vous. Pleins de réticence, on se dirige vers le Fort, sûrement pas guidés par l'amour de la musique. Pour cause, c'est une parade de groupes morts nés qui nous attend sur la grande scène. Foals, champion du monde des groupes qui ne servent à rien (et dont on a en plus rapidement envie d'amputer le batteur d'une main), Two Door Cinema Club... Autant de formations promises à un succès rapide et un oubli tout aussi prompt. On a une furieuse envie de crier "Dead men walking " à la vue de ce cortège funèbre qui a Massive Attack pour tête de file. A grands renfort de messages démagogiques et de stroboscopes (rien n'est trop beau pour vous, public chéri), les Bristoliens tentent de nous faire croire que le trip hop n'est pas mort. Au flow poussif de 3D et des tonnes d'effets en guise de cache-misère, ils parviennent même à nous faire douter qu'il ait un jour été vivant. C'est le niveau CE1 de la conscience politique altermondialiste, et le niveau 5ème (mais dans un quartier bourgeois avec de la thune pour se payer du matos) du gros son qui tâche. Et puis Horace Andy a l'air fatigué, c'est triste à voir. En toute logique, on boit pour oublier les vingt centimètres de boue et l'odeur de sapin qui pèse sur la soirée où seule Martina Topley Bird nous aura fait un peu sourire.

Troisième journée, le soleil revient aussi doucement que notre énergie vitale. Entre chien et loup, Thus:Owls délivre la performance idéale pour tenter de reprendre ses esprits. Moins convaincant en plein soleil que dans la pénombre d'un petit club, les hiboux ne sont cependant pas ce qu'il semblent être, souvenez vous. Les oiseaux de nuit nous offrent une parenthèse de flottement. Autant dire un luxe sur trois jours de débauche sonores.

Courte pause car Archie Bronson Outfit s'est mis en tête de faire danser la pataugeoire. On est entourés de rockers qui ont au passage troqué les tiags de cuir pour des bottes caoutchouc. Mignon, classique et efficace, avec là encore un sacré batteur aux manettes. La faute à la boue ou à l'horaire peut-être, mais on n'arrive pas encore à enflammer la piste.

La sobriété n'aura pas vraiment été notre ligne de conduite commune tout au long de ce festival. Ni par ailleurs celle du chanteur de Serena Maneesh, qui a décidé d'en faire des caisses. Insupportable alignement de clichés qui gâchent un répertoire pourtant pas totalement inintéressant. Un concert à regarder les yeux fermés, ou dos à la scène, au choix. Et puis ça nous revient d'un coup, on se rappelle que les vrais My Bloody Valentine ont joué ici-même l'année dernière. L'affaire est classée.

The National, ensuite, pour la 3ème fois de l'année. Ils ont vécu un cauchemar technique la veille et arrivent la mine renfrognée : leur concert mettra bien 4-5 morceaux pour réellement décoller. Alors les temps faibles sont encore inévitablement les chansons du dernier album, mais au bout d'un moment même certaines d'entre elles prennent une ampleur majestueuse. Mention spéciale pour "Terrible Love" et "England". On reste loin du moment de grâce absolue de leur escapade berlinoise, mais on le tutoie parfois : si certains comparent le groupe à Coldplay, c'est qu'ils étaient sans doute aux chiottes pendant la version folle furieuse de "Available", une perle issue de Sad Songs For Dirty Lovers
qu'ils ont trop longtemps remisée dans les cartons et sur laquelle Berninger hurle à en faire trembler la lune.

Et puis l'ouragan, le vrai, rien à voir avec le modeste crachin de la veille. Cotillons, musiciens qui sortent d'un vagin de pixels, gants lasers… Les Flaming Lips mettent une raclée haut la main au Cirque du Soleil. Ca commence très fort, on craint la descente d'organes au son des basses et des hurlements mégaphoniques de Wayne Coyne. Il chante faux, mais on s'en fout. Sourire niais aux lèvres on s'égosille sur "She Don't Use Jelly". On se souvient de Yoshimi, des nuages métalliques, des robots roses et de la terrible guerre qui a fait rage. Dommage que derrière cette orgie de lumière, les chansons aient du mal à suivre : les enchainements sont poussifs, les compositions parfois méconnaissables, et on se surprend après l'émerveillement initial à ne taper du pied que quand les Lips se décident par intermittence à envoyer du gras.

On espère qu'ils auront pris des notes pendant le concert final de The Rapture : jamais plus de 15 secondes de pause entre les morceaux. C'est très dancefloor, et on n'écoutera jamais réellement The Rapture chez soi, mais pour finir le festival en dansant en évitant les flaques, c'était parfait.

On veut prolonger l'orgie de cotillons en jetant des rouleaux de papier toilette dans le carré bar. François fait tout son possible pour que la Blogo soit blacklistée l'année prochaine, mais plus rien n'a d'importance maintenant, on a chacun vu notre concert du festival. Double pastis all the way pour fêter ça et puis Etienne Jaumet fait dans le super-efficace pour soustraire encore quelques pas de danse à nos carcasses endolories. En bastonnant d'entrée un "Dance Yrself Clean" de très bon aloi, le fourbe. On ne veut pas terminer le rêve. Le reality check, ce sera pour plus tard : l'un d'entre nous (devine lequel et gagne un tee imbibé de pastis dédicacé) se retrouve à faire du stop sur la nationale à 5 heures du matin, rater un train, se réveiller dans un autre encore ivre et béat. Et pour seule envie celle de chanter dans l'oreille de la vieille qui ronfle en face : "Do. you. Realize?"


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- Retrouvez donc l'intégralité des captations réalisées pour ARTE Live Web lors de cette Route du Rock
- Allez donc aussi lire le compte-rendu d'Antoine Mairé dans Télérama et l'enquête exclusive de Mediapart sur le commerce de la botte en caoutchouc dans la cité malouine
- Photos par Lisemai (bandeau, portraits), 3615Code.net (scène vide 2) Delgoff (The National, Flaming Lips) et Rocknrobot (scène vide 1)