Kong Nay, virtuose du traditionnel chapei à deux cordes, a été épargné.
Comme il était à l'époque la star du moment, les dirigeants d'Angkar lui ont laissé la vie sauve, ainsi que le droit de garder son instrument, à la condition qu'il ne chante que des chansons à la gloire des Khmers Rouges à ses camarades prisonniers.
Ils finirent par lui prendre son chapei, sa femme et ses enfants, et l'envoyèrent rejoindre des millions d'autres cambodgiens asservis pour dettes dans les rizières, affamés et dévastés -- un traumatisme que sa cécité rendait d'autant plus atroce.
La soixantaine, formidable père de dix enfants, Kong Nay vit aujourd'hui dans un quartier extrêmement peuplé de Phnom Penh, et nous l'avons filmé là-bas dans la chaleur étouffante d'un après-midi d'avril, après un mois de tergiversations avec son entourage.
Comme nous ne maîtrisions pas très bien le Khmer - pour ne pas dire pas du tout - et que nous ne pouvions pas nous faire comprendre par les gestes, la communication était quelque peu incertaine. Alors nous sommes montés tout en haut de la maison, jusqu'à une petite pièce où il faisait chaud comme dans un sauna, et où les rideaux de voile rose frémissaient alors qu'un soleil bas de fin d'après-midi invitait ses rayons sur le mur.
Puis il a commencé à jouer...
Texte de Lotje Sodderland
Traduction de Nora Bouazzouni