Un constat liminaire déjà supposé et maintenant bien avéré : la cote d’amour pour la musique d’Emily Jane White
augmente à mesure que le charme de celle de Chan Marshall décroît. Presque proportionnellement : quand les derniers disques de Cat Power déçoivent, ceux de la californienne enchantent. Leurs registres s’éloignent, mon choix est fait, avec nostalgie mais conscience…
… conscience d’une promesse tenue de beaux disques : Victorian America
est un disque que Chan Marshall aurait pu faire, celui qu’elle aurait dû faire si elle ne s’était pas, depuis bien longtemps, fourvoyée dans une soul trop maniérée, caprice de la diva fashion qu’elle incarne depuis quelques années. Et si elle n’avait pas perdu sa spontanéité et l’aveu de ses faiblesses…
… faiblesses et le paradoxe de leur accumulation qui créée le charme. Dark Undercoat
était empli de meurtrissures cachées, Victorian America
expose les cicatrices. Mais elles ne sont pas disgracieuses, elles sont témoignages sincères. D’une Amérique victorienne, d’une nostalgie, d’une façon de convoquer le passé pour expliciter le présent, de faire appel aux esprits et fantômes…
… fantômes et démons, l’imaginaire noir qui peuple ses chansons, la mort qui rode et qui hante et les textes qui en font l’écho. Des paysages de déserts, de western presque, la poussière qui emplit l’atmosphère, la chaleur du jour et l’effroi de la nuit. "I’m living the country life / just me and the moon in a love so dirty
". Des clichés pour certains, une réalité pour d’autres, une Amérique de cinéma mise en musique…
… musique qui a pris des proportions insoupçonnables tout en gardant son âme. Dark Undercoat
était dépouillé, Victorian America
a la discrétion sublimée : piano, orgue, violoncelle et violon s’emmêlent en des constructions plus complexes qu’auparavant. Un grand bond, un saut de style, une multiplication des arrangements et une autre Emily Jane White, sûre d’elle, de ses compositions, de ses effets et de son supplément de charme…
… charme, à la pochette renversée, au corps étendu, pour offrir des moments secrets aux admirateurs transis, troquant plastique contre envoûtement sonore, un choix judicieux qui fait le pari d’une œuvre durable, qui ne fanera pas et ne sera pas éclipsée aussitôt d’autres talents féminins éclos. Un disque où elle révèle tant, qu’il faille, ou pas, lire entre les lignes…
… lignes que j’avais écrites au printemps 2008, à propos du premier album Dark Undercoat
: "Le jugement évoluera sûrement, mais sur l’instant la marque des doigts dans les chairs s’incruste profondément : la claque est belle mais on ne tend pas l’autre joue de peur de devenir masochiste […]. Attendons le prochain album pour la conversion définitive…
". Il est désormais temps de s’avouer définitivement converti.
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