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pocket parties / soirées de poche — By Alexandre François

Elysian Fields

C’était un vrai beau lundi de Pentecôte, l’une de ces trop rares journées auxquelles on peut apposer l’adjectif solaire : les terrasses du côté de Jaurès étaient pleines à craquer, on y arborait des lunettes de soleil, des t-shirts, des robes d’été légères et courtes, on était allongé quelque part, le long du canal, sur les quais. Il faisait très chaud. On était heureux de fêter avec Elysian Fields, les dix ans de l’album Queen of the Meadow, l’un de ces disques qu’on n’a jamais vraiment cessé d’écouter, et qui ressortait pour l’occasion chez Vicious circle.

L’arrivée du duo new yorkais fut pourtant ombrageuse. Oren Bloedow qui venait de se faire voler son Iphone sur le chemin, est nerveux et fatigué ; fatigué par le décalage horaire, le concert de la veille à St Brieux, inquiet de ne pouvoir joindre Jennifer Charles, et un peu sceptique quant la configuration du concert de ce soir. Quand on finit par croiser Jennifer à quelques rues de là, on la découvre cachée derrière ses lunettes noires, mutique, demandant seulement à quelle heure se font les balances, si elle pourra utiliser un micro. Elle dit qu’elle souhaite repartir au plus vite. On les laisse discuter tous les deux. Jennifer s’éclipse. Oren pose ses guitares, inspecte le piano droit d’Olivier. Il s’installe, plaque quelques accords, improvise quelques figures obliques desquelles finissent par émerger quelques fragments bien connus : l’intro de «Black Acres», la mélodie de «The Moment», «Passing on the Stairs». Il prend ses marques, toujours méticuleux. On jubile discrètement.

C’est une autre Jennifer Charles qui réapparait plus tard. On remarque ses souliers vernis, rouges. Elle s’anime, arpente l’espace en buvant distraitement un verre de vin, elle s’appuie sur le piano, prend la pose avec une moue boudeuse de circonstance. Elle sourit aux équipes qui s’affairent autour d’eux, caresse les cheveux de Victor, le fils de Julien. Il a sept ans. Les choses prennent forme : on déplace encore un piano, des lampes. Chryde dit des conneries . On boit. Les invités arrivent.

On les sait capable de tout. On sait que l’alchimie entre les deux à quelque chose de rare, de fragile mais qu’elle peut conduire à de beaux moments d’intensité : le concert à emporter que Vincent Moon et Gaspar Claus avaient fait à New York, chez eux, avaient su en capter quelque chose. Mais on sait aussi que rien ne se répète deux fois avec eux, que rien n’est assuré non plus, parce que leur musique n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle se frotte à ces points de rupture de l’existence, beaux moments d’éternité suspendus où l’on perd pied, et où on ne sait plus trop sur lequel on va pouvoir retomber : des rencontres, des extases, des deuils. En fait, Elysian Fields n’a jamais cessé de conjuguer le « nevermore » avec le « toujours ».

Le duo le sait bien, alors quand vient le moment de passer sur scène – dans le salon -, il se met sur la brèche avec une générosité et une chaleur communicative : regards énamourés et langoureux, très appuyés, art maîtrisé de l’effeuillage qui abolit les distances et vous plonge dans une intimité troublante. Les vacheries sont lancées avec un plaisir du jeu où la spontanéité ne sacrifie jamais à l’exigence. Lorsqu’Oren Bloedow abandonne Jennifer Charles en plein milieu d’un des plus beaux titres de leur dernier album en date (The Afterlife) parce que quelque chose cloche - les notes sont là mais manifestement il ne se passe rien -, celle-ci renchérit, mutine : « Avec Oren, ça a toujours été le problème, il vous emmène très haut et après pfff… il disparait. Le drame de ma vie ».

Et c’est vrai qu’on est allé très haut, l’air de rien, durant un set où la suavité et la tendresse (« Mermaid », « Church of the Holy Family» ) l’ont d’abord disputé à l’espièglerie (« Hearts are open graves ») avant de terminer sur la corde raide. Après un incident qui a failli mettre un terme à la soirée, Jennifer Charles, partie se réfugier à l’écart, consent à abandonner la pomme qu’elle vient de croquer à pleine dent pour nous offrir : « Never mind that now », vieille chanson contrariée sur disque, et qui livrée là, dans une obscurité presque complète, recentrée autour de cette relation presque organique qu’entretiennent la guitare et la voix, apparait là, nue, erratique et bouleversante, à l’image de son interprète tandis qu’elle chante : « I could float here for years/And you still wouldn’t know me/So many dreams I used to dream/Never mind that now./All the days that could have been/Never mind that now.»

On est aussi resté tout chose à regarder le verre de vin et la pomme restés sur le piano quand ils sont partis. Ils nous ont promis de revenir jouer toute une nuit jusqu’à épuisement. On saura le leur rappeler.

 

Réalisateurs : Chryde & Benoit Toulemonde • Cadreurs : Thomas Jacquet ; Benjamin Rohel ; Colin Solal Cardo ; Benoit Toulemonde • Son : Jean-Baptiste Aubonnet ; François Clos ; Etienne Pozzo • Montage : Benjamin Rohel • Etalonnage : David Bouhsira • Production : La Blogothèque / Stances

Photo de une par Antoine Doyen