8pm tout juste, et à peine entré chez Jennifer, elle m'offre ce charmant cadeau, un t-shirt blanc avec col en V, tout simple tout fin, presque tout pourri, sur lequel elle a inscrit, au feutre noir, 'ELYSIAN FIELDS'. Wow, la classe que je me dis, tout en trempant allègrement mes lèvres dans le mojito qu'elle venait de nous préparer, sans me rendre compte qu'au premier lavage, l'inscription déjà magique allait devenir souvenir. Oren, lui, débarque de l'aéroport dans la foulée, telle une furie rentrée d'une semaine de sexe sauvage dans la capitale française, et me saute au cou avant de sauter au cou de Jennifer - 'hey baby, you're so sexy in that dress', elle minaudant à tout va et jouant de sa voix et de son regard, faisant tout pour ne pas calmer les ardeurs - elle y arrive assez bien, passant la soirée à jeter ces regards embrasés et à les laisser s'échapper ailleurs, comme si de rien n'était, alors que justement tout y était. Elle part s'enfermer pendant quelques minutes dans une chambre, et en ressort dans une tenue encore plus érotique. On est prêts.
Je crois que Oren n'a pas bien compris le principe de la session vidéo, il n'a pas pris la peine de regarder les précédentes sur le net, alors c'est à Jennifer et Thomas, qui joue du piano avec eux (ainsi qu'avec Yoko Ono, c'est amusant), de le motiver - sur la fin de la soirée, il me mettra calmement mais posément la pression pour mettre un terme à ces enfantillages, refusant tout net de jouer la version tant espérée des 'Amours Perdues', la reprise de Gainsbourg que l'on pouvait entendre à la fin de 'Sombre', le film culte (pour les quelques personnes qui ont pu le voir) de Philippe Grandrieux, enregistrée pour la compil hommage au Serge sorti sur Tzadik et qui continue à hanter mes nuits - mais Jennifer et Oren n'ont toujours pas vu le film (et n'ont d'ailleurs toujours pas été payé pour, soit dit en passant).
Tant pis pour la reprise de Gainsbourg, on aura la reprise de Piaf: c'est Thomas qui me glisse à l'oreille 'Jezebel', ce morceau inouï de la môme que le duo new-yorkais a tendance à reprendre sur scène. J'ai envie de la voix de Jennifer, juste pour moi, je l'emmène dans les escaliers, expliquant bien à Oren et Thomas de rester dans l'appartement, et d'attendre. Seul avec elle, je presse le bouton rouge lançant l'enregistrement, moment suspendu, elle respire pour deux. Le sentiment que quelque chose passe, un ange peut-être. Son français est caressant, délicieux.
On monte ensuite sur le toit, probablement la plus belle vue sur Manhattan possible - un mur de lumières, jaillissant à la verticale, traînée déchirant l'obscurité et écrin de ce moment unique, elle susurrant presque dans l'oreille de Oren, son ancien compagnon, 'we're in love', le dernier morceau de leur plus récent album, comme une ultime supplique pour que tout ne s'écroule pas - et tout s'envole, Thomas tenant comme il le peut la lampe torche, Jennifer semblant dévorer du regard son ex, et tout devient trop intime, je suis presque gêné derrière ma caméra, j'essaye de me faire tout petit.
Le morceau se termine, Oren en a marre et se casse. Je reste seul avec Jennifer, le vent souffle, elle me demande de tourner comme une toupie sur moi même, je tourne, elle tourne avec moi, je manque de m'écrouler. Peut être aurais-je dû.