Et souriants, avenants, joyeux, amicaux. On ne peut rêver meilleur client pour les Concerts à Emporter. Il arrive parfois que nous nous retrouvions face à des artistes blasés, irrités, qui tirent la tronche, et ça ne donne pas franchement envie de passer du temps avec eux. La fanfare nous a offert 3 morceaux, mais qu’ils ont chanté deux fois chacun, dans des endroits différents, pour nous laisser le choix lors de la publication. Le problème c’est qu’il a été difficile de choisir.
On les entraîne dans les rues près du Café de la Danse, où nous croisons des lycéens indifférents, des enfants émerveillés, des parents qui montrent du doigt et leur donnent le nom des instruments. Nous nous arrêtons dans une petite cour pavée. Des têtes commencent à apparaître aux fenêtre, Mathieu est dans sa bulle, Chryde et moi nous rendons bien compte qu’il est complètement immergé dans ce tourbillon, heureux de filmer ce groupe. Et nous avons ce sourire béat sur le visage, celui qui dit « C’est complètement magique, ça va être une fantastique session ».
Nous sommes rue des Taillandiers et les premières notes de Wee My retentissent. Les De Kift ne sont pas des jeunots de 20 ans, ils ont des gueules, des gueules qui racontent des choses, comme le chanteur Ferry Heijne qui confronte la caméra à l’histoire qu’il scande, un moment émouvant, complètement unique, plus rien n’existe que ces sons, cette langue, tous ces instruments, nous sommes ailleurs, j’ai les larmes aux yeux mais les retiens. Une fanfare ça ne passe pas inaperçu dans Paris, mais il est rare qu’autant de gens applaudissent à la fin d’une session des Concerts à emporter, ce fût le cas pour « les Hollandais en folie », et quel bonheur.
Mathieu avait envie de faire jouer les De Kift dans un parc à Ledru-Rollin. Reiziger est la seule chanson en français que nous entendrons aujourd’hui. Malheureusement, à cause des horaires d’hiver, le parc a fermé plus tôt, et sa grille est fermée. Pourtant les voir tous alignés devant la grille est un spectacle formidable. Nous sommes au théâtre, les spectateurs privilégiés de cette troupe. « Disparu avec son ombre, a-t-il jamais existé ? », le texte est noir, mais plein d’espoir, comme leurs visages graves qui s’illuminent soudainement au détour d’une phrase.
« Un morceau à boire et à danser, rempli de tristesse d’amour ». C’est Beguine , peut-être la chanson la plus émouvante de l’après-midi. C’est aussi le premier morceau de cette session, mais les deux versions étaient tellement belles qu’il eût été impossible de n’en choisir qu’une seule. Nous rentrons à dix dans une petite boutique dont les vitrines exposent tout un tas de petites choses fragiles, nous sommes un éléphant dans un magasin de porcelaine. C’est complètement surréaliste. Les vendeuses sont un peu paniquées, au début, mais bientôt amusées, et absorbées par la musique. On aurait pu passer la journée avec cette fanfare en représentation, déambuler avec eux un peu partout, les écouter nous chanter leurs histoires en français, en néerlandais. La beauté d’une langue qu’on ne comprend pas, s’émouvoir de sa poésie, de la tristesse, de la joie qu’elle dégage. « Nous jouons notre chanson la plus fragile » conclut Ferry Heijne après avoir salué.