Le frisson qui nous prend à la découverte de la chanson en question est rare. Un tournage impromptu s'organise, des coups de fils en urgence pour trouver un lieu. J'avais croisé Julian son leader dans le passé, autour d'une Cueca traditionnelle à Santiago ou d'une Pena péruvienne à Lima. Mais cette musique est autre - l'extension inouïe d'un chant chamanique vers des polyphonies masculines jamais entendues dans ce coin du monde.
On réunit des amis, d'autres musiciens se joignent au groupe. On sort dans les rues désertées par ces temps de chaos et de révolution d'un peuple, on tente de retrouver autant que possible l'atmosphère des concerts à emporter à l'ancienne, j'ai un peu rouillé là dessus, les articulations sont moins simples à l'heure du smartphone. Mais la magie opère, le groupe est solide, chaque morceau maitrisé et ouvre des paysages inconnus dans les musiques chiliennes.
À la fin d'une longue soirée, tous exténués d'avoir organisés un tournage d'ultime minute, je demande à Julian d'où viennent ces chants polyphoniques masculins, comment est-il arrivé à concrétiser cette musique nouvelle aux racines si profondes. La réponse est magnifique - "j'ai vu tes films en boucle, surtout ceux sur les chants du Caucase".
Des Andes au Caucase, des gens se parlent à distance, et dans l'écho de leurs voix se dessinent de nouveaux sons, ancrés dans une terre commune.
Pour clore notre virée, on demande une ultime chanson à Camila et Silvio, ce couple si lumineux dont quelques heures auparavant, un ami me parlait en disant "tu dois absolument les rencontrer et les filmer". Ils sont là, je n'ai même pas eu à les inviter. Combien de fois dans une vie une telle magie opère deux fois la même journée? Ils jouent, ils chantent, et elle éclipse le monde entier. Camila Soria, fille spirituelle de la Violeta. Avec toi les lendemains seront moins difficiles dans notre ère de doutes et de douleurs.