Nous sommes à Brighton pour le Great Escape et je n'ai pas encore eu le temps d'écouter "Attack on Memory" que tous mes amis me recommandent. Nous faisons la rencontre de Dylan et Joe qui profitent de la session pour se détendre sur la plage, loin de la fatigue et le train de vie éreintant de leur tournée. Avant de filmer, ils jouent du Elliott Smith comme pour échapper à leurs chansons sur lesquelles Dylan devra se casser la voix chaque soir. "Les sessions acoustiques je crois pas qu'c'est not' truc…" Et pourtant la maturité des paroles de "Cut You" me sidère dès la première prise alors que Dylan n'a pas encore l'âge légal de boire aux Etats-Unis.
Un mois plus tard, nous buvons des coups avec le groupe sur le bord du canal Saint Martin qui longe le point FMR. C'est la dernière date de leur tournée Européenne et dans un sommet de fatigue et de taux d'alcoolémie, Dylan ne me calculera pas. Ce qui n'est pas un mal puisqu'il tombera amoureux de la France cette nuit là, oubliera de retourner à son hôtel et ratera son vol du lendemain...
Nous nous retrouvons l'été au Fort Saint Père de Saint Malo pour la Route du Rock. Ils assureront un set tout aussi violent et noisy avant de laisser la place à Stephen Malkmus, le "parrain" qui sera passé dans leur loge pour les encourager. C'est le lendemain, en transit et lassé par l'ennui de leur chambre d'hotel que je vient cueillir le groupe pour une tournée nocturne des rades de Saint Malo intra-muros. Habitués aux saloons miteux d'un Cleveland ruiné depuis la crise des sub-primes, ils ont l'impression d'être à Pirates des Caraïbes de Disneyland. Et quand un serveur de bar se montre susceptible et menace de me refaire le portrait, je ne m'attends pas à ce que les quatre membres du groupe prennent ma défense et menacent de retourner le bar… Le lien est là maintenant.
Début Novembre, le groupe est présent au Pitchfork Festival. "Les sessions acoustiques, c'est pas notre truc, tu sais bien…" Mais entre les balances et leur concert, j'arrive à les convaincre et presse même le batteur de se joindre à la session.
Dylan passe le reste de Novembre à Paris et je l'emmène chez des disquaires, mes bars favoris et des endroits secrets. Il est un collectionneur de vinyles, un passioné de graphic novels indés et un amateur de bières belges. Il achètera un vieux recueil de photos, on rigolera sur un marchand d'autographes de stars oubliées ou kitchs, et il me convaincra d'acheter le génial Twins de Ty Segall que je ne connaissais pas encore.
Certains reprochent à Cloud Nothings leur coté ado je m'en foutiste sur scène sans chercher à écouter au delà de ces vagues de bruits qu'ils maitrisent. Mais qu'attendent-ils vraiment de ce groupe? Ce grunge serait-il aussi cohérent s'ils n'assumaient pas cette insouciance avec la voix fatiguée de Dylan? Cette rage se doit d'être un tantinet puérile pour pouvoir s'exprimer ainsi et, en même temps, c'est la seule échappatoire possible pour ces fils de la middle classe américaine sacrifiée, qui ont décidé de s'abandonner moralement autant que physiquement à la vie de "petit groupe de rock sur la route".
Un moment, je questionne Dylan sur ce rire qu'il a à chaque fois qu'il finit une phrase: "Le monde est hyper sérieux et important et j'ai du mal à m'imaginer que quoique je puisse dire ait une importance… alors je trouve ça absurde et ça me fait rigoler. Je ris de moi même". Dans un ou deux albums, chacun se rendra compte du flambeau laissé à l'abandon il y a quinze ans qu'ils ont osé reprendre de la meilleure manière qui soit.