Passé un premier morceau, annoncé un minimum et pendant lequel les clients du Troisième Bureau sont restés silencieux, le bar a repris sa vie. Le percolateur, les filles qui rigolent, les verres... Et Chris a continué à jouer, doucement, comme si ce public qu'il n'avait pas choisi importait peu. Il chantait seul, chuchotait dans son micro, plié sur son piano, dans ce bar comme devant un paysage, une ambiance floue avec laquelle ses chansons à l'éclosion mesurée ne pouvaient pas jouer.
Et c'est au final nous qui étions attirés, forcés à notre tour de faire abstraction de notre agitation pour nous pencher vers ce Between the bars
chuchoté. Il y avait Chris Garneau sur son piano, Vincent Moon à l'autre bout de la salle derrière des bougies, et entre deux une zone floue, bruyante et attentive à la fois, qui prenait ce qu'elle pouvait de cette caresse.
Nous avons forcé le trait sur le dernier morceau, l'avons fait sortir, chanter dehors, et entrer dans le bar comme s'il n'y était pas invité. Il s'est arrêté au milieu, un problème d'accord disait-il. Il a repris, le bar ne s'était pas arrêté de vivre, et ce n'était que plus beau. A la fin les accords nous ont semblé les mêmes, au point de nous demander s'il ne s'arrêtait pas pour autre chose.
Nous ne saurons pas. Nous sommes montés vers la Maroquinerie, où nous avions organisé un concert pour lui. Un concert face au public. Un concert avec un public attentif. Un concert où il avait encore l'air si timide...