Aloe Blacc joue pour un public. Il en a besoin. Nous avions eu un autre Aloe. Tout aussi classieux, mais d'une classe silencieuse.
C’était un dimanche gris, mais nous avions enregistré une belle version dénudée, tout en claquements de doigts et feulements, de son tube "I Need a Dollar" dans la salle de restaurant du Comptoir Général. Aloe n’avait jusqu’ici quasiment pas dit un mot, était resté droit, silencieux, à scruter ce qui se passait autour de lui comme un général faisant en silence le compte de sa fortune et de ses conquêtes. Et quand il avait chanté, il avait chanté pour lui. Aucune esbroufe, tout juste un sourire pour trahir le plaisir qu'il a pris. Deux morceaux, un brunch, nous étions repartis.
Dans le métro, nous lui avions demandé de jouer un morceau. Il avait refusé : il n’y avait pas assez de monde. Nous étions sur la ligne 5 et il nous fallait trouver un endroit avec foule assurée, un dimanche dégueulasse. Ce fut le corridor du métro St Michel.
Aloe ne parle toujours pas et, sans rien dire à personne, il s’éloigne de ses musiciens, les laissant jouer les Péruviens avec l’étui de guitare à leur pied. Il est de l’autre côté. Les mains dans les poches, appuyé contre un coin de mur, il va chanter sans se faire remarquer, comme s’il était un passant fredonnant sur cette musique qu’il vient de croiser. Nombre de touristes mettront du temps à comprendre que cette chanson leur est jouée dans la cour et le jardin. Une fois la chanson terminée, il n’ôtera pas les mains de ses poches, ne dira rien. Et plus haut, dehors, devant le Gibert fermé, pour quelques passants espérant la fin de l’averse, il jouera le même jeu, celui de cet homme qui chante sans être là. Mais qui s'impose naturellement. Aloe Classe.